Depuis quelques années, le dressage dit “moderne” (en opposition au dressage académique) est sujet à de vives critiques : les exemples de rollkür sont légions, ceux de maltraitance également (langue bleue, usage excessif des enrênements…). Il y a peu, j’ai visionné un reportage de dressage moderne où le sélectionneur expliquait, patiemment, que l’on recherchait un cheval sans signes d’inconfort tels que le fouaillement de la queue : or, durant l’heure entière du reportage, les chevaux effectuaient sans cesse ce mouvement. Le dressage moderne marcherait-il sur la tête ?
Le Rollkür, nouvelle aspirine de l’équitation ?
LDR, Rollkür, hyperflexion… Cette pratique englobe de nombreux noms : il s’agit en résumé de fléchir au maximum l’encolure du cheval jusqu’à ce que son menton touche presque son poitrail (procédé vulgarisé par Anky van Grunsven, triple-championne du monde de dressage). Cette méthode permettrait d’exacerber le geste des antérieurs (biomécaniquement, l’on raccourcit les fibres du muscle brachio cephalique et lorsque le cheval est en placé de présentation, le muscle désormais plus court entraine le levé des antérieurs). Après réflexion de la part de la FEI, le Rollkür est autorisé lors de la détente en compétition car il serait “utile” pour assouplir le cheval et améliorer son rassembler, ainsi que pour travailler davantage son dos. Il aurait été étonnant que la FEI interdise cette pratique et donc remette en question l’ancienne triple-championne du monde allemande… Alors qu’en même temps en Suisse, plutôt en avance sur les questions de bien-être animal, la Fédération interdisait le Rollkür.
Qu’en est-il pour les chevaux ? Le Rollkür entraine de nombreuses conséquences à court et moyen terme :
- Le cheval ne peut pas regarder devant lui et donc est en état de soumission totale
- Migraines et augmentation de la présence de cortisol (hormone du stress)
- Problèmes respiratoires lors de la compression du pharynx et du larynx
- Inflammations de l’encolure
- Prédispositions aux ruptures de l’aorte
- Muscles et vertèbres lésés à terme (à lire, “Dressage moderne : un jeu de massacre ?” de Heuschmann – attention cependant à sa mise en pratique), par exemple au niveau osseux bursites sévères sur C1 à C3, remaniements osseux de l’occiput jusqu’à C3
Quel indicateur prendre dans notre travail dans ce cas ? La ligne des 90° du chanfrein semble acceptée par le consensus. D’autres observables sont disponibles sur Epona-tv :
Le “silence des chevaux”
Le Rollkür n’est pas la seule cause de souffrance en dressage moderne : un détail intéressant est par exemple la nécessité de savoir utiliser des enrênements pour être reconnu par la Fédération comme un cavalier de bon niveau ( “citer les principaux enrênements de travail monté : expliquer le but de leur usage et leurs effets” et monter avec 4 rênes au galop 6, “travailler à la longe un cheval ou poney enrêné” mais aussi “pouvoir le mettre rond et bas au pas et au trot” au galop 7). A partir de ces exigences précises, ainsi qu’en voyant les cavaliers de “bon niveau” monter grâce à des ficelles, comment apprendre l’esprit critique aux nouvelles générations ? Comment apprendre à être juste sans artifices ?
Un autre silence est celui imposé par les nose-band et autres muserolles trop serrées (le summum étant la muserolle croisée, bâillon par excellence), explicitement utilisés pour empêcher le cheval d’ouvrir la bouche. En effet, un cheval qui ouvre la bouche et exprime son inconfort serait pénalisé lors des compétitions (intéressant lorsque la cession de mâchoire est définie comme absolument nécessaire, entrainant l’impossibilité de dresser sans mors). Or une mâchoire figée entraîne bio-mécaniquement des postérieurs figés. Ne serait-il pas plus intéressant de travailler sur les raisons de cet inconfort, plutôt que d’empêcher les symptômes de s’exprimer ? N’oublions également pas que la zone autour de la bouche est composée de cartilages et de terminaisons nerveuses, ainsi que de liens avec le système respiratoire. Comprimer cette zone risque d’augmenter l’inconfort de notre compagnon et d’avoir des impacts à court et moyen-terme…
“Le cavalier qui force la flexion latérale à l’aide d’enrênements et verrouille la bouche avec des muserolles spéciales n’agit guère mieux qu’un éducateur qui bâillonne un enfant et le ligote sur sa chaise pour le réduire au silence et lui imposer le calme.” P. Karl
Les études soulignent également la forte présence de boiteries chez les chevaux de sport, de douleurs de dos non relevées par les propriétaires, d’ulcères. La présence de rapports conflictuels avec des chevaux insuffisamment préparés tels que des secouements de tête, des fouaillements de la queue fait également réfléchir sur l’échelle de progression actuelle. Le fait de décider qu’un cheval doit avoir une seule et unique attitude, et l’existence d’une méthode unique entraîne la possibilité de nombreuses dérives (les forums de dressage scandinaves où l’hyper-flexion est LA solution en sont un bon exemple) : on cherche à avoir et non pas laisser le cheval proposer ce qu’il peut/veut nous offrir.
Compétition, paraître et bien-être animal
La surreprésentation de certaines races en concours internationaux de dressage saute aux yeux : peu de chevaux rustiques ou un peu trop lourds, de chevaux réellement calmes, car trop éloignés du “top modèle” de dressage. Devons-nous forcément rentrer dans un moule pour pouvoir être reconnu par les juges ? A nouveau, nous pouvons reprendre l’exemple d’Anky van Grunsven, connue pour son travail très “musclé”. Comment est-il possible qu’actuellement, des experts en dressage préfèrent du brillant et des allures artificielles (le trot allongé peut endommager sur le long terme le ligament suspenseur) plutôt qu’une équitation où l’on reproduit des allures naturelles ? Quelle est la responsabilité du public qui demande ce type de “spectacle” ?
Lorsque nous imposons au cheval nos impératifs humains (calendriers des concours, qualifications, valorisations), il peut arriver que nous fassions passer notre compagnon après eux. L’important est le résultat, et non pas le chemin par lequel nous pouvons y arriver : deux minutes de spectacle sans que les conséquences soient prises en compte lors de la prestation. À quand une réflexion sur le bien-être du cheval hors du carré de dressage ?

L’existence des stéréotypies selon le type de travail met en avant le fait que les chevaux de dressage ont la plus forte incidence de stéréotypies
Une étude de 2009 sur l’existence des stéréotypies selon le type de travail met en avant le fait que les chevaux de dressage ont la plus forte présence de stéréotypies, dont certains graves comme le tic de l’ours, par rapport aux chevaux de jumping ou de voltige. Cette étude est un véritable signal d’alarme pour la communauté équestre. Alors en effet, les chevaux visibles à haut niveau ont le poil luisant, pas de plaies apparentes et sont peut-être mieux que “certains chevaux abandonnés” au fond d’un pré. Mais sous le prétexte qu’un cheval sort en Grand Prix, est-il forcément heureux ? Lors de mes recherches de pension, j’ai plusieurs fois entendu “je n’ai que des chevaux qui travaillent, donc que de la pension box” : plutôt étonnant lorsque l’on sait les impératifs de notre compagnon. Ses besoins naturels tels que la vie dehors, en groupe, une alimentation à base de fibres sont-ils respectés ? A-t-il la possibilité d’aller en extérieur et de faire autre chose qu’une routine qui ne varie pas au fil des années ? Certains chevaux sont très réactifs lorsqu’ils sortent de leurs habitudes, comme l’a montré récemment la vidéo d’une remise des prix : cela semble assez éloigné du “calme, en avant et droit” où l’on recherchait un cheval “facile”. Un cheval est-il heureux en étant toiletté régulièrement, ou le meilleur cadeau que l’on puisse lui faire est “probablement de ne pas oublier qu’il est précisément un cheval” ? Ne peut-il pas savoir mieux que nous comment il “doit” se mouvoir ? Devons-nous approuver une équitation où l’on ne peut plus apprécier un cheval qui se meut avec des allures naturelles ?
Conclusion

Les choses bougent, sous la pression de cavaliers et d’associations recherchant le bien-être du cheval en premier lieu
Cependant, il serait injuste de définir le dressage moderne comme un monde où le cheval ne peut que souffrir. Nous avons dans notre sac à dos l’héritage des écuyers anciens mais également récents tels que Oliveira, Henriquet, ainsi qu’un retour vétérinaire et ostéopathique que n’avaient pas les cavaliers d’avant. Certains cavaliers se soucient davantage du bien être de leur monture. Les choses bougent, sous la pression de cavaliers et d’associations recherchant le bien-être du cheval en premier lieu.
L’équitation académique, effectuée en harmonie et sans artifice avec (et non pas contre) son cheval peut permettre un travail juste où le cheval évolue librement, en recherchant ses airs naturels. N’oublions pas de l’écouter et de remercier ce qu’il accepte de nous offrir…
Pour aller plus loin – vu sur le web
- La Suisse interdit le Rullkur et autres maltraitances, par Mon cheval me dit
- Revue : Derives du dressage moderne, par Chevalitude
- Conséquences physiques du LDR et autres Rollkur sur le cheval, Par Demivolte Face
- Réflexion Epona sur le dressage moderne et vidéos (anglais), Epona TV
- Interview de C. Carde sur le Rollkur sur Cheval-Savoir
- Revue : Dressage moderne un jeu de massacre par Le cheval en harmonie
- Stéréotypies et dressage moderne: quel impact ? Par Plus près de toi, comportementaliste équin
- Impacts d’une mauvaise préparation physique sur le cheval, par Demivolte Face
- Epater jusqu’à en patir par Cavaliere mais pas que
- Muserolle serrée et noseband par Demivolte face
Bibliographie
- Une histoire de l’équitation française, Guillaume Henry, Marine Oussedik, Alain Francqueville, Paris, Belin, 2014, 127p.
- L’équitation de tradition française, Dom Diogo de Bragance, Belin, Paris, 2005, 191p
- Dérives du dressage moderne. Recherche d’une alternative “classique”. Philippe Karl, Belin, Paris, 2006, 159p
- Dressage moderne : un jeu de massacre ?, Gerd Heuschmann, Belin, Paris, 2009, 125p