Chez l’humain, les expressions du visage sont une source riche d’information sociale et “publique” (âge, sexe, état émotionnel). L’équivalent chez l’animal non-humain n’est, pour l’heure, que très peu étudiée. Alors qu’il est démontré depuis longtemps que de dernier est capable d’expressions faciales, les sous-jacents (fonction, signification) sont rarement évoqués (et uniquement chez les primates).
Dans la nature, le cheval est capable de reconnaissance sociale avancée, à la fois au sein de son groupe social (avec qui il partage l’espace et les ressources) et en dehors (autres hordes), et de reconnaissance dynamique qualifiée de fusion/fission envers d’autres chevaux (visible également chez les éléphants, certains cétacés, mais également chez les bonobos et l’Homme). Cette reconnaissance permet, sur le long-terme, le maintien du groupe social via une communication efficace.
Le but de l’étude est donc d’observer comment les chevaux réagissent aux expressions faciales de congénères.
Protocole
Deux expériences ont été menées simultanément, nous les nommerons E1 et E2.
-
Panel : E1: 48 chevaux: 29 hongres et 19 juments, entre 3 et 32 ans / E2: 33 chevaux, 14 juments et 19 hongres, 5-27 ans.
-
Stimuli : 2 chevaux ont été pris en photo grandeur nature (1 jument/1 mâle) dans 3 contextes (positif (+) = anticipation de récompense alimentaire; neutre (=) = état de relaxation; négatif (-) = chatouillement désagréable/départ des congénères).
Expérience 1 : Réaction spontanée
L’expérience n°1 cherche à étudier le comportement spontané d’un cheval en présence de deux photographies grandeur nature d’un même congénère inconnu, ayant deux expressions faciales différences (au choix entre neutre, agressive, et positive): le cheval test est donc libre d’interagir avec les photographies (ce qui permet donc d’analyser la perception et l’utilisation de l’information).
- Expérience : Les chevaux étaient mis en face de deux photographies, grandeur nature, du même cheval avec différentes émotions (+ et =, – et =, + et -): chaque émotion était présentée à la fois à gauche et à droite, un nombre égal de fois. Ces photos étaient attachées à 1,5m d’écart du mur et à 0,4m du sol. Des barres étaient positionnées à 1m de part et d’autre des deux photos (cf figure). Le cheval test était ensuite amené par son meneur, effectuait un 8 de cercle puis était arrêté et libéré au point R (à 3m des photographies), et le meneur s’en allait. Le cheval pouvait ensuite agir librement, jusqu’à 120s après que le licol ait été enlevé.
Expérience 2 : Observations physiologiques
En second lieu, le cheval était positionné avec uniquement une photographie (contexte + ou -) et le rythme cardiaque était enregistré. Ceci permet de caractériser les réactions internes en présence d’expressions faciales.
-
Expérience : chaque cheval était mis face à un contexte + ou – (à hauteur de la tête du cheval test), lors de présentations séparées (61 à 167 jours d’écart), avec un ordre de présentation aléatoire. Le rythme cardiaque était enregistré pendant 5 minutes avant la présentation, puis 5 minutes après la présentation. Le stimulus était présenté par un premier meneur durant 30 s: 10 s à 1 m, 10 s à 0,1 m, puis 10 s à 1 m (marquage au sol), puis un second meneur à 1 m 50 (avec liberté de mouvement).
Résultats
E1: Les chevaux sont capables de discrimination entre les expressions faciales de congénères, et d’adapter le comportement social en conséquence
Les chevaux sont capables de discriminer l’expression négative des expressions neutres et positives:
-
Le nombre d’approches est significativement plus élevé pour un contexte + que pour un contexte -, ainsi que pour un contexte = face à un contexte -. On remarque les mêmes observations pour la préférence de regard.
-
Il n’y a pas de différences d’approches entre un contexte + et =.
-
Les chevaux préfèrent passer plus de temps devant l’expression positive et neutre que devant l’expression négative, et également avec une distance spatiale plus réduite (< 1,5 m).
-
Les jeunes chevaux ont tendance à observer plus longtemps (indifféremment de l’expression), suggérant que les jeunes chevaux sont généralement plus vigilants. On peut noter qu’il n’y pas impact par rapport au sexe de l’individu.
-
Il y a la présence d’un biais de regard pour le contexte négatif (comme évoqué dans l’article sur l’expression faciale chez l’Homme).
E2: Les expressions faciales de congénères influencent le comportement et la physiologie
-
Les chevaux passent plus de temps à éviter l’expression négative que positive. Ils montrent moins de comportements d’évitement et plus de comportements d’approche envers le contexte + par rapport au contexte -.
-
Les chevaux ont des réactions différentes lors de l’observation des expressions : par rapport au contexte +, ils ont tendance à garder davantage les oreilles en position asymétrique et moins de temps avec les oreilles en arrière en contexte -. Par contre, il passent autant de temps avec les oreilles en avant quelque soit le contexte.
-
Impact du sexe: les mâles ont tendance à observer la photo plus longtemps que les femelles, mais ces dernières sont plus réactives et ont davantage de réactions d’évitement que les mâles.
-
Il y a eu un effet d’habituation : le temps passé à éviter le stimuli lors de la 1ère présentation est plus long de 2 secondes (mais plus d’observation).
-
Pour cette expérience on peut noter également la présence d’un biais de regard pour le contexte négatif.
Impact cardiaque :
-
Accélération du rythme cardiaque dans les deux cas (modérément avec le contexte +, plus fortement avec le contexte -)
-
Retour à la normal plus rapide après un contexte + qu’un contexte –
-
Augmentation de la réactivité lors de la première présentation que la deuxième
-
Aucun impact du sexe ou autre variable
Conclusion
Les résultats démontrent que les chevaux sont capables de reconnaître et de distinguer les expressions faciales émotionnelles de manière pertinente, dans le cas présent entre des expressions positives et négatives. Ceci prouve donc qu’en face d’un congénère inconnu, cette compétence permet au cheval d’augmenter les opportunités d’interactions « positives » et réduit les risques de conflit.
Toutefois, il n’a pas été possible de constater une différence de comportement face à un contexte neutre et un contexte positif : le contexte neutre serait-il considéré comme « positif », en étant par exemple un état de relaxation/détente ? Ce thème de recherche sera à aborder par la suite.